Vous connaissez l'histoire du mouton qui court jusqu'à perdre la laine ?

« Un thé à la menthe et un chocolat chaud. » Une petite main tira délicatement sur la manche de la veste de l’adulte avant qu’il ne rajoute un « avec supplément chantilly pour le chocolat » qui provoqua un gloussement de joie chez l’enfant. Amusée, la serveuse repartit avec la carte, laissant cet improbable couple tranquillement assis à la table qu’elle venait de libérer pour eux.
Napoléon savait que sa fille allait apprécier ce lieu, donc il avait déjà entendu beaucoup de bien. Ne souhaitant pour le moment pas imposer de compagnon félin à sa chienne, encore en train de trouver ses marques, le jeune papa tentait ainsi de consoler un peu Arabel, qui lui réclamait un chat depuis déjà plusieurs mois.

La petite brune ne tarda pas à apercevoir les premiers invités du lieu, et s’extasia sur sa chaise, gesticulant comme l’enfant qu’elle était. Tentant de faire bonne figure auprès de son père pour qu’il la laisse vaquer à ses occupations comme la grande fille qu’elle n’était pas, elle lui demanda l’autorisation dans un espagnol approximatif qui fit sourire - et craquer - son papa gâteux. Du coin de l’œil il la regarda s’éloigner en sautillant vers le fond de la salle, où quelques matous avaient élu domicile, royalement vautrés sur d’immenses coussins qui occupaient tout un coin de la pièce.
Quant à lui, il pianota quelques minutes sur son téléphone. Répondant à quelques mails, rassurant sa famille sur le fait que lui comme Arabel se portaient comme un charme, et finalisant les dernières prises de rendez-vous pour son cheval, qui allait avoir nombre d’émotions ces prochains jours si on en croyait les examens que souhaitait faire le français, un peu surprotecteur sur les bords.

Au bout d’une bonne vingtaine de minutes, toujours aucune trace des boissons commandées. Voyant que l'horloge tournait et que sa fille n'allait pas tarder à lui réclamer un goûter comme tous les jours à la même heure, il se décida à prendre les devants et à rajouter une assiette de cookies à sa commande pour satisfaire sa poupée.
Avisant une silhouette munie d’un haut blanc, tenue portée par tous les employés du café, il tapota délicatement l’épaule de l’inconnue - vu les cheveux longs - en commençant sa phrase.
« Excusez-moi de vous importuner, mais je suis en attente de ma comman… »
Alors que la jeune femme se retournait, le grand brun remarqua rapidement que son haut, certes blanc, n’arborait pas le logo de l’établissement. Et l’air un peu perdu de la demoiselle le conforta dans l’idée qu’il avait commis une sacrée méprise. Comme toujours légèrement dans l’excès, il plaque sa main sur sa bouche en poussant une exclamation désolée.
« Oh, veuillez accepter mes plus plates excuses, je me suis de toute évidence honteusement mépris ! Vous n’êtes vraisemblablement pas plus employée ici que je ne le suis… »

Le moins que l’on pouvait dire, c’était que Napoléon était bien tombé. Il avait toujours un peu peur de la réaction des gens, car il savait qu’il en faisait rapidement trop. Mais là, visiblement, la demoiselle ne paraissait pas le moins du monde dérangée par le fait d’avoir momentanément été prise pour une employée, vu le sourire flamboyant qu’elle lui rendit. Le grand brun sourit tout autant, avant de rigoler légèrement à sa réplique. Une cliente derrière le comptoir occupée à se préparer elle-même une boisson qu’elle allait en plus payer une fortune, voilà qui avait de quoi amuser.
Napoléon serait, quant à lui, bien incapable de le faire. Oh, ce n’était ni le courage ni le petit grain de folie qui lui manquait. Simplement ses piètres compétences culinaires, encore plus dans un environnement qu’il ne connaissait pas. Sinon, cela ferait belle lurette qu’il serait allé proposer un coup de main aux serveurs. Encore plus s’il s’agissait de servir des jeunes femmes qui semblaient tout simplement charmantes, à l’exemple de son interlocutrice.

« Oh, au regard de l’agitation ambiante, il est même peu probable que quiconque vous remarque escalader ce bar. Et au besoin, je vous couvrirais volontiers. »
Comme par hasard, ce fut l’instant où un serveur à l’apparence un peu malingre fit son apparition. Légèrement transpirant, le souffle court, il semblait tellement mal vivre ce petit moment de rush que le français hésita un instant à attraper une serviette en papier pour lui éponger le front. Mais il se retint, sachant pertinemment que ce geste serait mal interprété venant d’un homme. Lorsque le pauvre épuisé s’adressa à eux pour prendre leur commande, Napoléon fit un geste sans équivoque pour laisser sa voisine commander d’abord. Après tout, elle était arrivée avant.
Un bref coup d’œil sur sa fille paisiblement installée avec un chaton sur ses genoux et le brun put rajouter les gâteaux à sa commande. Pas très certain de les obtenir un jour vu l’air un peu perdu de l’employé, il en rigola de plus belle avec sa rencontre du jour.
« Et sur quoi pariez-vous désormais ? Une commande qui n’arrive jamais, ou un café à la place de votre chocolat ? »
Bien évidemment, loin de lui l’idée de critiquer bêtement et méchamment le brave personnel de salle. Mais il fallait bien avouer que l’organisation légèrement chaotique laissait tout le loisir de s’en amuser gentiment…