Appaloosa - Happy Flower

L’allée des chevaux de propriétaires était silencieuse. Seuls les chevaux venaient troubler ce silence apaisant, par leurs renâclements et leurs mastications plus ou moins discrètes. Bien heureux d’être seul pour cette première rencontre, Napoléon fit une petite prière pour que personne ne vienne troubler cet environnement tant qu’il se trouverait ici, avec son cheval.
Il avait acheté Happy Flower sur un réel coup de cœur. Quelques photos sur le site du refuge, un coup de téléphone pour vérifier qu’il était craintif mais pas dangereux, au cas où sa fille voudrait l’accompagner, et il l’avait fait transférer aux écuries. Son histoire l’avait ému. Son âge et son état physique faisaient de cet hongre un rebus, que pas grand-monde n’accepterait d’adopter. Alors, en fidèle vétérinaire qu’il était, c’était pour sa pomme.

Il s’arrêta devant le grand box généreusement paillé. En raison de la maigreur de son cheval, il avait fait passer des consignes comme quoi il souhaitait que la litière soit épaisse et bien remontée sur les côtés, afin qu’il n’évite de se blesser davantage. Il était en suffisamment piteux état, pas besoin d’en rajouter.
A peine Happy Flower sentit la présence humaine, il leva la tête de son tas de foin et recula après avoir jaugé le nouvel arrivant. Napoléon observa attentivement la réaction de son nouveau petit protégé : il était bien évidemment craintif, mais il était resté face à lui, ce qui était plutôt bon signe. S’il s’était retourné, cela aurait prouvé une agressivité latente que le grand brun aurait eu plus de mal à faire disparaître. Mais regagner la confiance du tacheté c’était normalement dans ses cordes.

En espérant que Flower ne lui en voudrait pas de lui parler en français, Napoléon se mit à parler, afin de l’habituer au timbre de sa voix.
« Bonjour mon grand. Il ne faut pas avoir peur, je ne suis pas du tout là pour te faire du mal. Au contraire, mon truc c’est plutôt de soigner les animaux, comme toi. Je suis certain qu’on finira par bien s’entendre toi et moi. »
L’hongre avait les oreilles dressées, inclinées vers l’avant, signe qu’il l’écoutait attentivement. Il y avait peu de chances qu’il le comprenne, mais au moins arrivait-il à se concentrer sur l’être humain. Napoléon était certain que ce n’était pas qu’une cause perdue. Il réussirait à retrouver le fier cheval que Flower avait dû être quelques années auparavant.

Le vétérinaire profitait du calme olympien que présentait l’équidé, visiblement rassuré par le fait que ce drôle d’humain ne bougeait pas d’un pouce. Il le détailla : les côtes et le bassin saillants, l’encolure décharnée et le poil terne. Bien évidement dénutri, mais il ne semblait pas présenter de problème de santé grave en plus de cela. Selon les palefreniers, il mangeait et buvait bien, et s’il continuait comme ça il reprendrait rapidement du poil de la bête.
Napoléon avait fait diminuer sa ration de céréales pour augmenter celle de foin. Il voulait à tout prix éviter que le tacheté développe des ulcères en s’alimentant avec une nourriture trop énergétique et trop rapidement avalée. Détaillant encore le box et son habitant avec attention, il nota que le foin avait été humidifié comme à sa demande, et que l’abreuvoir était propre. Pour aujourd’hui, il ne rentrerait pas dans le box histoire de ne pas troubler plus que nécessaire son compagnon, mais il ne tarderait pas à s’occuper lui-même de ce genre de petites choses « domestiques ». Mais au moins, il connaissait le palefrenier qui lui apportait d’ordinaire sa nourriture, c’était le mieux pour réduire son état de stress.

« Du coup, Flower, je vais te laisser te remettre de tes émotions pour aujourd’hui. J’espère que demain on pourra faire un petit pansage pour vérifier que tu n’as aucune blessure, et peut-être que dans la semaine on arrivera à sortir manger un peu d’herbe fraîche ? En attendant, je te laisse ça, parce que tu as été un cheval très très sage. »
Sortant de son sac à dos un sachet plastique, il en déposa prudemment le contenu dans la mangeoire facilement accessible depuis la porte. Une bonne dizaine de carottes, soigneusement découpées pour ne pas qu’il ne vienne à l’idée de son cheval de se boucher l’œsophage avec. Le tacheté redressa la tête et tendit l’encolure vers cette nouveauté, mais sembla résister à l’envie de s’avancer. Avec un petit soupir, Napoléon recula doucement, et tourna le dos au box avant de s’éloigner lentement. Suffisamment lentement pour entendre distinctement le bruit caractéristique des dents de cheval occupées à croquer allègrement les carottes. Si Happy Flower pouvait rapidement associer cette récompense à son acceptation de la présence de son cavalier, ils n’en progresseraient que plus rapidement tous les deux…