La meilleure manière de prendre les choses du bon côté, c'est d'attendre qu'elles se retournent

Les mains chargées de sacs aux logos divers et variées des différentes boutiques de la zone, Napoléon remercia le ciel de l’existence des portes automatiques. Il aurait été bien en peine d’ouvrir une poignée, lesté comme il l’était par ses folies dépensières. Son éternel sourire heureux sur le visage, il rentra dans le Starbucks qu’il avait repéré en entamant sa séance de shopping au début de l’après-midi. Après plus de deux heures de déambulations pour trouver de quoi décorer son nouvel appartement et de quoi habiller sa poupée pour ce temps légèrement pluvieux, il s’accordait une pause bien méritée.
Quelques minutes après, armé d’un thé froid et d’un brownie dégoulinant de caramel, le brun gourmand s’installa sur l’une des dernières tables libres, squattant allégrement le fauteuil à côté du sien pour y poser ses paquetages. Sa table étant située dans une sorte d’alcôve, il en profitait pour observer toute cette vie qui se mouvait paisiblement autour de lui, se mêlant délicatement à la sienne. Cela faisait des années lui semblait-il qu’il n’avait pas pu profiter d’une simple après-midi de libre. Il avait toujours eu soit sa fille soit ses urgences à la clinique. Soit les 2, tant qu’à faire.

Aujourd’hui, avec Arabel à la crèche et la clinique où il n’était pas de garde, sa vie semblait changer. La preuve, il avait été jusqu’à acheter un pêle-mêle pour y accrocher des photos de sa fille, chose qu’il n’aurait jamais cru avoir le temps de faire il y avait encore quelques mois. Sirotant sa boisson à la couleur rouge tout sauf naturelle mais vachement drôle, le regard de Napoléon se focalisa sur une nouvelle arrivante qui balayait la salle des yeux, manifestement à la recherche d’un endroit où s’asseoir. Depuis qu’il était arrivé, l’établissement s’était encore davantage rempli, et il n’y avait plus aucun endroit où se poser même pour quelques instants.
Avisant la grande brune déambuler dans sa direction, espérant manifestement qu’un consommateur se volatilise juste devant ses yeux, le français attendit qu’elle soit à portée de voix et qu’elle croise son regard pour l’interpeler.
« Mademoiselle, seriez-vous, par le plus grand des hasards, à la recherche d’une chaire pour vous établir quelques instants ? Mes paquetages n’ont nul besoin de tant de commodité. »
Un sourire toujours accroché à ses lèvres, il se pencha pour déplacer ses sacs à ses pieds, et ainsi laisser de la place à la demoiselle en détresse.

La demoiselle avait une prestance qui ne devait pas laisser grand-monde indifférent. Ce genre de personnes qui savent qu’elles occupent l’espace et qui en jouent, dont arrivait - assez miraculeusement, certes - à faire partie le grand brun. Bien malgré lui, d’ailleurs ; s’il restait dans les mémoires c’était bien plus par son originalité que par sa présence scénique. Son apparence lui important peu. Après tout, avec un métier demandant de fréquentes gardes de nuit, il n’avait pas toujours le temps d’être tiré à quatre épingles.
Ses cheveux commençaient à devenir trop longs, et il les remettait fréquemment en place. Il savait qu’il n’avait son visage juvénile depuis déjà quelques années, tout comme il était loin de posséder les corps d’athlètes des modèles de magazine. Et aujourd’hui, avec son simple pantalon de toile et sa chemise bleue aux manches retroussées, il n’était décidément pas digne d’être en couverture de magazine.

Aussi, le compliment caché dans la remarque tranchante de la demoiselle ne put s’empêcher de lui offrir un sourire encore un peu plus grand. C’était indéniablement plaisant, il aurait été un sacré menteur en osant prétendre le contraire. Mais un rire ponctua rapidement les paroles de l’inconnue. Pas moqueur pour deux sous, simplement amusé de la méprise. Loin de lui l’idée de l’importuner plus que nécessaire.
« Oh. Soyez rassurée sur le fait que je sympathise uniquement en tout bien tout honneur avec ces si charmantes créatures que sont les demoiselles. J’ai une fille, ce sera guère la seule femme qui pourra partager ma couche. »
Attrapant sa boisson pour la siroter élégamment, ses yeux clairs pétillants. Il s’amusait toujours autant de la méprise qui pouvait s’installer lorsqu’il osait aborder une femme. S’il avait décemment pu arborer un Tee-Shirt « Je suis gay » sans craindre que sa fille soit prise pour cible dans la rue, il l’aurait fait. Malheureusement, il était destiné à dissiper les malentendus pendant encore longtemps.
« Je me prénomme Napoléon Rivera. Vous excuserez mon accent, l’anglais n’est malencontreusement pas une de mes langues maternelles. »
De toutes façons, ne disait-on pas que l’accent français en faisait craquer plus d’un ?...

Il n’était pas le premier convaincu de la chance de sa fille, mais il ne l’avouerait certainement pas à haute voix. Après tout, ce petit bébé s’était retrouvé bien malgré lui confié à Napoléon, ce père qui faisait tout son possible, mais clairement pas assez. Elle ne manquait pas de grand-chose, si ce n’était d’une présence féminine. Et maintenant que la sœur de son cher papa était en France et eux au beau milieu de l’Angleterre, c’était un petit peu plus difficile. Heureusement qu’à la crèche, et bientôt à l’école, la petite Arabel serait mieux entourée qu’à la maison. Car ce n’était sûrement pas un papa gay et un chien qui allaient pouvoir lui apprendre à être une jolie demoiselle…

La brunette se présenta à son tour. Emily. Le français hocha la tête et se mit à glousser lorsqu’elle lui fit remarquer que son accent était immanquable. Autant il parlait le français et l’espagnol d’une façon parfaite puisqu’il les avaient entendues toutes les 2 à la maison pendant toute son enfance, autant son anglais était plus… approximatif. Et encore heureux, il avait effectué un semestre à l’étranger lors de ses études, et s’était porté sur l’Angleterre. Aussi, il n’était pas complètement largué.
La question hautement personnelle d’Emily lui fit soulever un sourcil. C’était encore et toujours un gros point noir de sa vie : comment s’était-il retrouvé avec une fille ? Répondre un « je ne sais pas » n’étant pas particulièrement une option, il préféra ressortir sa version habituelle, qui le plus souvent ne donnait pas lieu à davantage de questions.
« Je l’ai adoptée à sa naissance, sa mère n’a pas souhaité la garder. »
Avant Arabel, il n’avait jamais pensé avoir d’enfant, et après Arabel il n’avait pas pensé en avoir un de plus, c’était certain. Pour le moment, une petite furie criant et courant dans l’appartement c’était suffisant. Et encore, quand la chienne ne lui courait pas après, sa fille aurait presque pu ressembler à une sage petite princesse. Presque.

Emily héla un serveur et, avec un numéro de charme tout féminin, réussit à passer commande en doublant copieusement toute la salle dans la file d’attente. La main devant la bouche pour éviter que le pauvre employé ne le voit pouffer, il se reprit juste à temps pour réclamer un sachet de sucre en poudre, son thé devenant trop amer maintenant qu’il avait infusé davantage. Avec un sourire à sa compagne de la soirée, Napoléon s’empressa de la féliciter pour ce tour de force.
« J’envie parfois la facilité avec laquelle vous réussissez à amadouer la gente masculine de la sorte… On a beau dire le contraire, le monde pourrait aisément être géré par des femmes. »
Et ce n’était qu’une demi-plaisanterie. Fidèle - ou pas - aux clichés qui statuaient que les hommes gays respectaient énormément les femmes, Napoléon les élevait sur un piédestal.