Chez toi, chez lui

Ton appartement était à ton image: magnifique, mais discret. Un grand salon cosy, une cuisine américaine, une chambre avec un lit king size parce que tu ne fais pas les choses à moitié. Le petit plus, c'est que l'appart avait une terrasse d'une vingtaine de mètres carré, bien sympa, t'avais aménagé en mettant un canap histoire d'être bien posé.
Rien d'énorme, hein, mais ça fait longtemps que t'avais pas eu un truc aussi cool. Et si t'y avais mis du tien, c'est parce que pour une fois t'avais un petit espoir de pas devoir laisser l'appart pour partir en taule. Déjà, vu que t'avais pas de garant, t'avais dû payer grassement ce putain d'agent immobilier avec son petit air hautain. C'est pas parce que tu loues des chiottes que tu peux regarder les gens comme ça.

A peine installé, tu étais allé faire un tour en ville, pour faire du repérage: oui, les magasins, mais surtout les boîtes, les bars, les endroits qui te serviraient.
Et puis de fil en aiguille t'avais aperçu une animalerie. La dernière fois que tu étais entré dans une animalerie c'était pour acheter le chien de Riley. Cette petite chienne qui était tout aussi princesse que sa maîtresse, et malgré tout elles te manquaient toutes les deux. Sûrement par nostalgie tu avais décidé de rentrer dedans, peut-être que tu tentais de retrouver une part de ta blonde quelque part.
Dans l'animalerie il y avait un peu de tout, t'avais fait un tour sans but, tu cherchais rien, en fait. A ton passage, un petit truc sur pattes t'avait aboyé dessus, tu lui avais jeté un regard méprisant avant de continuer, en passant devant les rongeurs.
"Je peux vous aider? "
Un mec se pose devant toi, avant un grand sourire, un balai à la main.
"Nan."
Il ne se décompose pas devant ton attitude négative.
"Ah, Monsieur ne sait pas ce qu'il veut, mais vous avez vu nos jolis bébés?"
Tu hausses un sourcil de dédain.
"Un chien, un chat? "
Tu ne réponds pas, en espérant peut-être qu'il se décourage, mais tu vois bien qu'il va pas te lâcher.
"Ouais, je veux un gros molosse, une bête de combat."
L'homme te sourit, putain quelle patience.
" En supposant que vous soyiez en train de plaisanter, nous avons Boscoe, ceci dit, nous ne le vendrons pas pour qu'il retourne au combat."

Enfin, il tourne les talons et s'approche des aquariums. C'est quoi cette histoire de chien de combat? Tu déconnais. Ceci dit tu regardes derrière toi et cherche le nom de Boscoe.

C'est un pitbull de 4 ans, indique l'étiquette. Et si tu ne l'as pas remarqué, c'est parce qu'il est couché au fond du box et roule des yeux menaçants vers toi. Tu t'arrêtes devant, les mains dans les poches. Le chien relève la tête pendant que tu lis son passé. D'où, ses oreilles coupées. Tu t'agenouilles, ce qui suppose chez le molosse une réaction instantanée, il se lève. Sans s'avancer, mais debout face à toi, l'air de dire, ne va pas plus loin. Tu lèves la main vers le box et entends un grognement sourd se propager dans la gorge du chien. Ah, ouais.

Le vendeur s'approche.
"Alors, la bête de combat?"
Tu hausses les épaules.
"Je plaisantais, je pensais pas vraiment en trouver une. "
L'homme se tourne vers toi.
"Il a un passé difficile, vous savez. Il ne pourrait pas partir avec n'importe qui. Son passé lui a laissé des cicatrices."
Son passé lui a laissé des cicatrices, c'est ce que ton avocat disait de toi quand t'étais plus jeune. Cette phrase, tu la connais, cette histoire, c'est un peu la tienne aussi.
"Ouais, je connais."
Le vendeur reste silencieux, comme quoi, il sait aussi se taire.
"Combien le molosse?"
Il se tourne vers toi.
"Vous savez, son prix n'est rien à côté de tout ce que vous allez devoir mettre en place pour l'aider."
Tu te retiens de rire, le prix n'est pas une barrière pour Aaron Chase, mais il ne te connait pas. Bref, là n'est pas la question. Tu te tournes vers lui.
" Je sais. Je ne prends pas ce genre d'histoire à la légère. "
Il est un peu décontenancé de te voir parler comme ça, il hausse un sourcil.
" Je vais vous prendre quelques trucs, vous livrez?"
Tu parles au vendeur en regardant Boscoe, l'homme hôche la tête pour te répondre.
"Très bien, alors vos meilleures croquettes, le panier que vous avez en vitrine, deux gamelles, et Boscoe." Puis, comme pour clarifier: " Evidemment, livrez les croquettes, pas le chien. Je suis humain quand même."

Le vendeur ne sait pas si te faire confiance ou pas, vu ton attitude, mais quand il te demande où tu travailles et que tu mentionnes BTD, comme par magie, cela semble le rassurer. Finalement, il accepte de te le sortir du box. Tu observes avec quelle délicatesse il s'approche du chien, avec quelle douceur il lui passe un collier et y accroche une laisse. Boscoe se laisse faire, mais son regard en dit long.
Le pitbull sort lentement de son box et le vendeur l'accompagne vers toi. Tu tends une main vers le pit, qui l'évite sans difficulté. Ca va pas être facile, mais quelque chose tu dis que ce chien est pour toi, et pour personne d'autre, pour la seule bonne raison que tu es le seul qui pourra l'aider, et peut-être que lui aussi à sa façon pourra t'aider.

Une heure après, après avoir signé un million de papiers d'adoption, tu rentres chez toi, avec un chien. Putain, merde. Qu'est ce que t'as encore fait? Boscoe suit, ou plutôt, tu suis: il tire comme un forcené sur la laisse, et dès que tu tentes de le freiner ou de lui indiquer un chemin, il se rebiffe. C'est plus facile un cheval. Mais, comme un cheval, après un petit temps, ça devrait aller mieux...
Tu ouvres la porte de ton appartement et laisse entrer le chien, que tu détaches. Pendant qu'il fait le tour, mi méfiant, mi-curieux, tu poses ses papiers sur la table, et ce simple geste te laisse une étrange sensation: tu as l'impression que tu es enfin installé chez toi.